« J’ai d’abord cru que c’était une blague, j’avoue que je ne comprends pas pourquoi avoir pensé à quelqu’un comme moi pour écrire un article », prévient d’emblée Fabrice Colomar. Pourtant, les raisons ne manquent pas tant ce quinquagénaire, aussi modeste que bavard, s’implique depuis de nombreuses années dans une lutte contre l’isolement et la stigmatisation des personnes atteintes de troubles psychiques. Mais aussi, au-delà, dans des actions civiques favorisant le lien social.
Un engagement de longue date
Il s’engage ainsi notamment dans le Téléthon et le Forum des associations ; prend part à des actions de sensibilisation de la population – participation à la tenue d’un bureau de vote inclusif lors des dernières élections européennes ou, plus récemment, à l’aventure « Viens comme tu es » ; et siège à diverses réunions de la commission consultative de l’accessibilité et du handicap de la ville où il est le porte-parole des adhérents de l’association rambolitaine La Tortue qui trotte. Depuis plus de 10 ans Fabrice est en effet membre élu du bureau de ce Groupe d’Entraide Mutuelle (GEM)*, qui accueille en journée des adultes souffrant de troubles psychiques dont il a été tour à tour trésorier, viceprésident, puis président. « Je suis redevenu vice-président cet été mais l’essentiel ce n’est pas le poste qu’on occupe, nous sommes avant tout des adhérents souffrant tous d’une pathologie, avec ses hauts et ses bas ».
Faire tomber les tabous
À l’aise avec sa maladie et soucieux de faire tomber les tabous qui entourent les questions de santé mentale, Fabrice ne fait pas mystère de sa pathologie. Soit une schizophrénie paranoïaque à tendance suicidaire diagnostiquée tardivement, à la trentaine. « Ça a débuté quand j’avais 7 ans et j’ai été victime d’incompréhension, de rejet, j’étais en quelque sorte le mouton noir, même dans ma famille à qui je ne parle plus ». Le jeune homme d’alors souffre aussi de dépression et d’anorexie. Suivi depuis les années 2000 et en arrêt maladie de longue durée, il a « trouvé la force de faire taire les voix » qui l’assaillaient, est aujourd’hui complètement stabilisé et ne se définit plus par sa maladie. « Maintenant je ne me bats plus contre elle, mais pour les autres », résume-t-il en souriant. Un parcours de résilience qu’il souhaite partager et pour lequel il estime devoir beaucoup au GEM. « Je ne serais pas là aujourd’hui sans l’association dont je suis un des plus anciens adhérents. Je lui dois tout parce qu’elle m’a permis de créer du lien social et surtout de prendre confiance en moi ».
Le GEM, une famille
Lorsqu’il entend pour la première fois parler de ce Groupe d’Entraide Mutuelle, crée en 2010 au coeur de Rambouillet, Fabrice ne se sent pourtant pas prêt à en pousser la porte. « Il m’a fallu un an, j’étais angoissé par l’inconnu, le regard des autres et puis un endroit comme celui-là, avec des personnes heureuses, ça peut faire peur quand tu es mal dans ta tête ». Dans ce lieu de vie non médicalisé – ni médecin, ni infirmière – il découvre un espace de convivialité et de liberté qui accueille une quarantaine d’adhérents fréquentant la structure selon le rythme qui leur convient et participant eux-mêmes activement à l’organisation ainsi qu’au fonctionnement de l’association. Ensemble, soutenus par une animatrice salariée, ils réalisent des sorties sportives, culturelles – expositions, cinéma, théâtre… -, partagent des repas et activités variées, participent à des événements de la ville, réalisent des chroniques radiophoniques grâce à un partenariat avec la RVE (Radio Vieille Église) ou passent simplement du temps entre eux, se réunissant aussi chez les uns et les autres en dehors des horaires d’ouverture. « C’est un lieu de sociabilisation mais c’est surtout une famille et des amis que j’ai trouvés ici : entre adhérents, on se comprend, on s’accepte, on s’aide et on oublie finalement la maladie ».
Rendre ce qu’on lui a donné
Rapidement, Fabrice s’engage dans l’association par le biais de plusieurs mandats et porte la parole des adhérents au sein des dispositifs partenariaux gravitant autour du GEM (ville, associations, instances médico-sociales…). « Moi qui étais incapable de parler en public, je peux maintenant porter celle des autres, donner mon avis, proposer des choses. J’ai encore du mal à le croire mais on me dit même que j’ai du charisme ! ». Depuis un an, il est d’ailleurs élu à la Fédération InterGEM (FIGEM) où il souhaite suivre des formations afin de former lui-même d’autres membres du GEM dans la gestion et le développement de l’association.
Il s’investit en parallèle plus largement, mettant son temps et son énergie enthousiaste au service des autres et du lien social. Volontaire hyperactif de l’heure civique, il est aussi notamment bénévole dans la Société de Saint-Vincent de Paul, ambassadeur du Château de Rambouillet et participe tous les mardis à des ateliers de tricot aux Restos du Coeur. « Je suis en train de finir une couverture pour bébé en ce moment », précise-t-il fièrement. « J’ai appris que donner de son temps, cela ne coûte rien mais ça apporte beaucoup. Je dois tant, notamment à cette ville où je vis depuis 1987, alors cela me semble normal de rendre un peu de ce qu’on m’a donné et d’être utile ! ».
Dans cet agenda bien rempli, Fabrice Colomar réussit toutefois à consacrer du temps au sport et à sa passion pour la culture dans tous ses états. Amoureux de cinéma et amateur de lecture, il court les expositions et connaît si bien le château de Versailles qu’il en est devenu relais culturel auprès des publics éloignés des musées. « À cause de ma pathologie, je n’ai pas eu la chance de faire de longues études alors je suis curieux de tout et j’essaye de rattraper le temps perdu : j’ai encore nombreux projets en tête ».